
Emmy Marivain est décédée d’une leucémie le 12 mars 2022. Sa mère se bat en justice pour dénoncer la présence massive de pesticides dans les fleurs et autres végétaux utilisés en fleuristerie, de même que l’omerta qui règne autour de leur dangerosité.
Les fleurs occupent très rarement le devant de la scène médiatique et lorsqu’elles se fraient une petite place dans l’actualité, il est généralement question de festival des jardins, de 1er mai ou de fête des Mères… Hélas, c’est au milieu d’un drame familial et d’un scandale sanitaire qu’elles font présentement les titres des journaux.
Pesticides dans les fleurs : « Maman tu dois te battre »
« Maman tu dois te battre, parce qu’on n’a pas le droit de faire ça à des enfants. On n’a pas le droit de les empoisonner ».
Peu avant de succomber de son cancer à l’âge de 11 ans, après sept ans de combat, Emmy a fait promettre à sa mère de lutter pour que « tout le monde sache la vérité »
. L’ancienne fleuriste était alors déjà entrée en contact avec Phyto-Victimes, association nationale d’aide aux professionnels victimes des pesticides. La structure a conseillé à Laure Marivain de saisir le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), en vue de faire reconnaître le lien entre son exposition prénatale aux pesticides et la maladie de sa fille. L’ancienne fleuriste a déposé son dossier auprès du Fonds en février 2022, soit le mois précédent le décès de son enfant.
Un lien de causalité reconnu à l’unanimité par les experts
Durant l’été 2023, un responsable du FIVP téléphone à Laure Marivain pour l’informer de la décision de la commission chargée d’examiner son dossier. « Il m’a dit qu’ils [les chercheurs et médecins] avaient reconnu à l’unanimité le lien de causalité entre le décès d’Emmy et mon métier de fleuriste »
, explique la jeune femme. « Ce jour-là, la culpabilité a été énorme. Je me suis dit : comment j’ai pu être aussi naïve ! C’est moi qui ai empoisonné ma fille. Cette enfant que je désirais tant, j’ai occasionné sa perte. J’ai explosé de colère. J’ai dit au médecin : ‘Mais c’est un empoisonnement ! Vous vous rendez compte de ce qu’on laisse faire !’ Et il m’a répondu : ‘Je ne peux pas vous dire le contraire’. »
Une audience à la Cour d’appel de Rennes
Ce mercredi 9 octobre, la petite salle d’audience du pôle social de la Cour d’appel de Rennes était pleine à craquer. « Nous avons été empoisonnés, moi et ma fille Emmy. C’est bel et bien un acte odieux et criminel venant de la part d’un système défaillant »
, s’est insurgée Laure Marivain.
Le FIVP a proposé une indemnisation de 25 000 euros à chacun des parents d’Emmy. Cependant, le couple conteste cette somme et exige plus d’un million d’euros pour le préjudice subi. Le verdict de l’audience sera rendu le 4 décembre prochain. « Nous souhaitons seulement que les droits de notre fille ne soient pas bafoués et que plus aucune famille ne vive ce que l’on endure »
, affirme l’ex-fleuriste.
Laure Marivain fut représentante en fleurs dans les Pays de la Loire de 2008 à 2011. Son quotidien, à l’époque : réceptionner des chariots de fleurs et de verdure, installer les bacs dans des entrepôts, livrer les végétaux aux détaillants… Avant cela, elle a exercé quatre ans en boutique en tant que fleuriste. Lorsqu’elle tombe enceinte de sa fille, fin 2009, son état et celui de son fœtus deviennent rapidement préoccupants. Laure prend très peu de poids ; son bébé aussi. Après une grossesse difficile, l’accouchement est à son tour la source de préoccupations. À sa naissance, Emmy est toute violette et ne pleure pas. Le placenta est noir, comme carbonisé, selon l’anesthésiste. Les bilans de santé qui suivent ne se montrent guère plus rassurants. On interroge la mère au sujet d’une éventuelle consommation de drogue, mais celle-ci ne s’est pas drogué, pas plus qu’elle n’a fumé ou bu de l’alcool.
Les fleuristes, encore plus exposés aux pesticides que les agriculteurs
Selon les informations du Monde et de la cellule investigation de Radio France, Emmy Marivain est le premier enfant dont la mort est reconnue par le FIVP. Il s’agit aussi d’une première pour un professionnel de la fleur. Impossible pour autant de connaître les substances précises à l’origine de la maladie d’Emmy, une leucémie aiguë lymphoblastique B. « « Les fabricants de pesticides pour les fleurs sont extrêmement nombreux, et il n’y a aucune réglementation pour limiter les résidus, comme dans l’alimentation »
, a précisé Me François Lafforgue. L’avocat de la plaignante rappelle aussi qu’une étude belge sur l’exposition des fleuristes aux pesticides publiée en 2019 a permis d’identifier la présence de 70 résidus (56 pesticides et 14 métabolites) dans les urines des professionnels testés, y compris des molécules interdites dans l’Union européenne.
Dr Bruno Schiffers, qui a piloté l’étude, parle non pas d’un risque potentiel, mais d’un risque avéré :
« On a pu prouver que les pesticides passaient bien la barrière de la peau et rentraient dans l’organisme. Le risque pour les fleuristes est même plus important que celui encouru par les agriculteurs, car ils sont exposés à un cocktail de très nombreux pesticides, avec un nombre de substances très élevé sur chaque bouquet, y compris des substances interdites en Europe. Pourtant, ils ne sont pas informés. Ils ne portent pas d’équipement de protection. Ils boivent, mangent, pendant qu’ils travaillent, sans avoir conscience qu’ils manipulent des produits toxiques en grand nombre et très concentrés. Et, contrairement aux agriculteurs, ils sont exposés six jours sur sept, toute la journée, toute l’année ! »
Un véritable tabou auquel il faut mettre fin sans plus attendre, selon la mère d’Emmy. « C’est simple. Tout le monde sait, mais personne ne fait rien. Et pendant ce temps, il y a des familles qui prennent perpète. Car personne ne nous rendra jamais notre fille. Moi je ne travaille plus au contact des fleurs, mais je suis toujours en lien avec les artisans. Je ne veux surtout pas les pointer du doigt, mais au contraire les protéger »
, rapporte France Info.
Souhaitons que cette affaire marque un tournant dans la reconnaissance du préjudice subi par les victimes des résidus de pesticides dans les fleurs coupées. Espérons aussi qu’elle fasse enfin évoluer la réglementation. Il en va de la santé de tout à chacun, à commencer par celle des professionnels de la filière horticole et de leurs enfants.
Merci beaucoup pour ce partage; il nous oblige à ouvrir les yeux alors que…l’on parle de celles qui nous font vibrer; qui nous passionnent, qui nous émerveillent…..quelle immense tristesse….il est essentiel que le combat soit fortement médiatisé, ce sera sans doute très très long, mais je suis sûre qu’un jour cela portera des fruits. Au prix d’encore combien de vies innocentes …
S’engager dans des fermes florales pour produire dans son pays au plus près des fleuristes; c’est ça qu’il faudrait soutenir et encourager. Mais cela implique aussi que ceux et celles qui achètent des fleurs acceptent que les saisons fassent partie des bouquets que l’on offre. Et que l’on ne trouve pas forcément toutes les fleurs à toutes les saisons…
Je suis bien d’accord avec vous, Amandine. En tant que consommatrices, consommateurs, nous avons aussi notre rôle à jouer pour faire bouger les lignes. Boycotter les fleurs qui ne sont pas de saison, soutenir par nos achats la production de fleurs françaises… C’est un sacré défi, mais il nous faut sûrement repenser notre rapport aux fleurs coupées !
Bonjour, je mène une recherche de doctorat en sociologie sur les enjeux de l’exposition aux pesticides pour les professionnel(le)s de la fleur. Si vous pensez être concerné(e) ou connaissez des personnes concernées par une problématique similaire à celle qu’a subi Laure Marivain, vous pouvez m’envoyer un mail à cette adresse : bleuef958@gmail.com. Merci!